Les monuments funéraires et les portraits des Ewe,
au Togo et au Ghana.
© textes et photographies Angelo Micheli
Les monuments funéraires ou kpetata  sont dédiés à des personnes qui, de leur vivant, jouissaient d’une  situation sociale et d’une notoriété remarquables, voire parfois d’un  statut d’ancêtre, et qui avaient acquis une richesse suffisante pour  permettre à leur famille de faire construire ces édifices. Ce sont des personnes dont la mort n'est pas vécue avec tristesse parce qu'elles ont atteint un grand âge en accomplissant parfaitement leur vie. Il faut à ce propos noter l'âge parfois très élevé indiqué sur les monuments; il correspond très souvent à une marque honorifique bien plus qu'à une réalité. Ces personnes  sont les :
- Togbui (togbe ou tɔgbui prononcé torgbui), les chefs traditionnels.
- Midao ou Minao, les prêtres ou prêtresses vodou (vaudou, vodu, vodun).
- Cultivateurs, pécheurs, riches marchand(e)s, tisserands.
Le  chef, le prêtre et le producteur de biens, on retrouve ici la  tripartition établie par G. Dumézil dans les sociétés indo-européennes  (pouvoir, religion travail). Toutefois, ces catégories ne sont pas  hermétiques: des togbui peuvent être également cultivateurs, et des prêtres togbui.
Kpetata.
Les Ewe définissent leurs monuments funéraires par le terme kpetata : de "kpe" : pierre ou bloc, et "tata" : dessin, peinture, trace dans le sens d’une représentation - c’est ainsi l’art de sculpter, graver, dessiner dans divers matériaux pour en obtenir une figure, un ornement, une construction.
Le kpetata  est en ciment. Il se situe aussi bien dans un cimetière que dans des  espaces publics (bord de route, chemin, place), donc vus du plus grand  nombre de passants, lieux qui appartiennent cependant à la famille.  On peut regrouper les kpetata  en deux genres : des monuments avec un portrait peint à l’acrylique sur  le mur qui fait face, et des monuments avec un portrait sculpté (une  statue en ciment peint). Ils se déclinent en différents types de  constructions.
Caractéristiques esthétiques des portraits.
(Ils sont présentés dans les pages du blog selon leur situation géographique.)
(Ils sont présentés dans les pages du blog selon leur situation géographique.)
Que  le portrait soit peint ou sculpté, il répond toujours à des critères de  représentation fondamentaux. Le personnage, soit de grandeur nature  soit plus grand,  fait face au visiteur dans une attitude hiératique. Il  est le plus souvent assis,  les mains ramenées sur les jambes - adoptant  la "pose de chef" - sur un fauteuil ornementé ou un tabouret de  prestige (pour les togbui), habillé du plus beau pagne, paré de ses  attributs et accompagné parfois de personnes, d’animaux et d’objets.  L’utilisation  fidèle d’un portrait photographique comme modèle (composition et pose  strictement identiques) rappelle que ce dernier résulte d’un syncrétisme  entre les traditions locales de la représentation sculptée et  photographique des chefs (chez les Yoruba et les peuples Ewe) et celles  du portrait réalisé auparavant dans les studios photo de France et de  Grande Bretagne.
Le  portrait funéraire se détache toutefois du portrait photo, dont il  emprunte principalement la pose et la ressemblance du visage. En effet,  si le visage est naturaliste (identique à celui de la photo), l’ensemble  du portrait tend plutôt vers une ressemblance symbolique et idéalisée établissant ainsi des figures archétypales. Par rapport au modèle originel, les couleurs sont plus éclatantes,  les pagnes peuvent  être  modifiés, et les parures, comme les objets symboliques du statut social, sont plus voyantes ou rajoutées. La figure peinte se détache sur un fond souvent uni afin d’être visuellement projetée  vers le spectateur dans la vie duquel elle vient se rappeler. Mais ce fond la situe aussi dans un monde, où elle convie ses observateurs, un monde hors du temps et de l’espace  de la réalité quotidienne, un monde où se situe également la statue sur son socle ou dans  son abri. Tout concourt à créer une  image plus belle et plus intemporelle.
  
Iconographie des personnages représentés.  
Signes de reconnaissance en dehors des indications écrites (peintes ou sculptées).
Signes de reconnaissance en dehors des indications écrites (peintes ou sculptées).
Togbui (chef traditionnel): le kente ou le lokpo (pagnes traditionnels), les parures : collier, canne ou  parapluie-parasol, montre, parfois regalia, le siège : tabouret de chef,  fauteuil imposant (richement orné ou témoin de la modernité), un katambui (grand parasol) et parfois un animal totémique aux pieds. 
Midao (homme) ou Minao ( femme) (prêtre, prêtresse vodou) : des serviteurs ou suivants (husunu) qui les précèdent et les annoncent, des costumes, colliers (hotie,) clochettes (avaga) pour appeler les esprits, et tambours.
Cultivateurs, pécheurs, tisserands, marchand(e)s  : le kente, la montre, le fauteuil orné, les signes symboliques de l’activité du défunt qui sont peints ou sculptés (bêche, coupe-coupe: hikpo, végétaux, poissons, machine à  coudre, etc.…). Le sac ou la bourse signale l’élégance et la richesse des marchandes.
Vocation des kpetata et des portraits.
Les kpetata ont la vocation d'honorer le défunt, de célébrer sa vie et son exemplarité, et de conserver sa mémoire parmi les vivants. 
Parce  que la mort n’est pas une rupture chez les Ewe - ils conçoivent la vie comme une continuité et une communication incessante entre le profane et le sacré, entre le visible et l'invisible, entre le quotidien et l'au-delà - le portrait maintient  le défunt vivant parmi les vivants. En effet, grâce à son portrait il  s’adresse à tous les passants par la force de sa présence physique et  surtout par son regard. Ce regard les fixe par-delà le mur sur lequel  il est peint, par-delà la matière dans laquelle il est sculpté, et  par-delà l’espace et le temps. 
© textes et photographies Angelo Micheli
 

 
   
 
   

 
    
 

 
 
 
     
      
 
  
 
 
    
    
